Faut-il encore faire la démonstration aujourd’hui du caractère indispensable des personnels civils aux côtés des militaires ?
Depuis le ministère d’Alain Richard, qui a duré de 1997 à 2002, il était de tradition que les organisations syndicales puissent s’exprimer directement avec le ministre sur les différents éléments du projet de loi de finance concernant le budget de la défense. Cette présentation avait lieu début octobre et précédait de peu l’invitation de la commission de défense et de sécurité devant laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Cette réunion était l’occasion pour le ministre d’expliquer les enjeux sous-tendant les orientations du PLF et pour les organisations syndicales d’exprimer leurs positions, éventuels points de désaccord et propositions, au plus haut niveau de l’exécutif.
Ce qu’on nous a proposé cette année se résumait à ce qui ne serait finalement revenu qu’à une « lecture commune » des quelques pages de la présentation du PLF 2023 pour la LPM 19-25, avec une administration, toujours pleine de bonne volonté, mais peu à même, du fait de son rôle d’exécution, de tenir compte de nos remarques.
Il est certainement encore un peu tôt pour parler de mépris de la part du ministre vis- à-vis de pratiquement 25% de ses effectifs.
Malgré son absence remarquée au Comité technique ministériel où il aurait pu se faire connaître aux représentants des personnels civils, comme il l’a fait le lendemain pour les représentants des militaires.
Même après sa réponse assez évasive, pour ne pas dire décourageante, quand nous lui avons demandé en face à face dans son bureau, s’il avait l’intention de participer, dorénavant, aux Comités sociaux d’administration de niveau ministériel.
Nous gardons encore espoir que la grosse erreur du premier mandat Macron, consistant à négliger les corps intermédiaires et décider seul, ne sera pas reproduite dans certains ministères du deuxième mandat ; ni aux armées ni ailleurs.
Nous saisissons d’ailleurs l’occasion de cette déclaration liminaire pour passer le message suivant « Monsieur le ministre, les personnels civils sont membres à part entière de la communauté de défense, leur engagement en toute occasion, y compris de crise, est particulièrement reconnu.
Les marques de l’intérêt que vous leur porterez seront essentielles pour leur sentiment d’appartenance et la valorisation de leur dévouement.
Le symbole n’est pas tout, loin s’en faut, mais la reconnaissance commence souvent par là. Faites-nous l’honneur de présider les CSA ministériels et d’y écouter nos expressions. Ces dernières traduisent ce qui se passe sur le terrain, vous ne pouvez pas faire l’impasse sur ces témoignages et ces propositions ».
Pour revenir à la réunion évoquée plus haut. C’est tout naturellement que la CFDT a décliné par avance une invitation qui ne nous a de toute façon jamais été adressée. Nous l’avons rapidement fait savoir au cabinet du ministre, qui nous assure depuis qu’une présentation par M. Lecornu aura bien lieu, avec de notre côté de la table les employeurs et les représentants des personnels militaires, à une date qui n’est pas encore déterminée. Gageons que ce sera avant l’adoption de la loi !
Nous contestons le mélange des genres. La CFDT est toujours prête à mettre en avant la notion de communauté de défense, pour associer dans une même mission, porteuse de sens, l’activité des personnels du ministère des armées quels que soient leurs statuts.
Nous considérons cependant qu’il reste des terrains sur lesquels il est bon de pouvoir s’exprimer en tête à tête avec les plus hautes autorités politiques.
Les mesures catégorielles découlant du budget des armées en sont un. Pour se convaincre du caractère assez délicat de ce sujet il suffit de se pencher sur les quelques pages de présentation du PLF et d’y chercher ce qui fait mention des personnels civils. En dehors de leur nombre – qui n’est pas insignifiant - et des 3,5% d’augmentation de la valeur du point d’indice dont ils ont bénéficié, on ne dit rien sur eux, et encore moins pour eux.
Nous savons les différences entre les civils et les militaires, dont le point d’orgue est l’engagement possible jusqu’au sacrifice ultime pour la deuxième population. En aucun cas nous ne contestons les mesures prises à leur intention, que l’on nous rappelle, édito après édito, interventions après interventions, présentations après présentations. Une loi de programmation militaire à hauteur d’Homme. Homme avec un grand H, mais aussi avec un bel uniforme !
Faut-il encore faire la démonstration aujourd’hui du caractère indispensable des personnels civils aux côtés des militaires ?
Un ministère totalement en uniforme ne pourrait fonctionner, en tout cas pas si l’uniforme reste la marque de l’engagement opérationnel pour tous et au combat pour beaucoup.
Les civils sont là pour assurer la pérennité et la stabilité des structures administratives et techniques de soutien, celles-là mêmes qui accueillent pour un temps seulement les militaires dans les phases de récupération de leurs parcours de carrière.
C’est la présence continue des personnels civils qui assure la stabilité d’une structure de soutien capable de jouer sa mission principale et celle, tout aussi importante, d’accueil des soldats, aviateurs et marins, en phase de récupération.
Le budget des armées doit donc offrir aux militaires « les meilleures conditions d’engagement» comme l’écrit le ministre dans l’éditorial du document de présentation du PLF, mais il doit, de la même façon, offrir ces conditions aux civils.
La secrétaire générale pour l’administration écrit dans la présentation stratégique du projet annuel de performances pour le programme 212, annexe du projet de loi de finance 2023, « la poursuite d’une politique de défense à hauteur d’homme signifie notamment la poursuite des mesures d’accompagnement et d’amélioration des conditions de vie et d’environnement social des militaires et de leurs familles, qui constituent des leviers essentiels d’attractivité et de fidélisation ».
Le plan famille, la nouvelle politique de rémunération des militaires (417 M€ sur les 798 consacré à la politique salariale, les 357 M€ restant correspondant à l’augmentation de la valeur du point d’indice de 3,5 % qui bénéficie à tous, militaires comme civils), sont autant de dispositifs qui creusent l’écart de valorisation de l’engagement entre les militaires et les civils.
Mais les problèmes de recrutement et de fidélisation ne touchent pas que les militaires. Ils sont répandus dans toutes les fonctions publiques et traduisent non pas un manque de courage et d’envie de travailler du côté de la demande, mais une offre inadaptée et peu attractive.
Sur le plan RH, ce qui ne va pas, ce que nous répétons tous les ans, c’est, en quelques lignes :
- Les niveaux de salaire pour les recrutements, qui ne tiennent pas la comparaison avec le secteur privé pour les B et les A et assimilés et qui, comme dans le privé, sont indécents pour les catégories C et assimilés ;
- Le tassement des grilles indiciaires ;
- Les taux d’avancement et de promotion ridiculement faibles ;
- En corolaire les parcours de carrières quasi inexistants, c’est-à-dire la vision que devrait avoir un agent d’un déroulement de carrière possible, en entrant dans le ministère ;
- Les postes à responsabilités encore trop souvent réservés aux cadres militaires ;
- ...
Sur le problème crucial du pouvoir d’achat, les mesures annoncées l’été dernier ont eu un effet réel mais totalement insuffisant. De nouvelles mesures générales sont donc attendues par les agents publics : valeur du point, ajouts de points. La CFDT reste à la table de négociation au niveau de la fonction publique.
Sur les mesures concernant les grilles de catégorie C et B : aussi indispensables qu’attendues mais malheureusement très limitées et sources de profondes frustrations. Là encore la CFDT reste à la table de négociation pour que les agents et leurs niveaux de qualification soient intégralement reconnus.
Il n’est pas prévu de mesures générales pour la fin 2022, mais la porte n’est pas totalement fermée à la fonction publique, de nouvelles discussions doivent s’engager d’ici janvier sur des mesures plus ciblées...
Pour compenser ce manque d’ambition au niveau fonction publique le ministère doit développer des mesures catégorielles à la hauteur de l’engagement de ses personnels, fonctionnaires, contractuels et ouvriers de l’État. Dans la situation de conflit international que nous traversons il dispose des arguments pour convaincre.
Dans une autre perspective, nous ne pouvons pas oublier d’évoquer la paupérisation des services RH eux-mêmes. Ce qui nous remonte des usagers de ces services, mais aussi des acteurs RH, c’est l’impossibilité pour les premiers d’obtenir les informations nécessaires à la prise en main de leur carrière et de leur fin de carrière et pour les seconds c’est l’incapacité, faute de moyens, humains et matériels, de fournir ces informations aux usagers.
La DRH du ministère est consciente de tout cela et compte sur une réforme de l’organisation pour rétablir la qualité de service rendu. Nous pensons que cela ne sera pas suffisant, certains services sont « à l’os », on ne pourra pas faire l’économie de recrutements conséquents dans les CMG par exemple.
Le budget de la défense est bien entendu aussi déterminant pour les industries de défense.
La guerre en Ukraine est un fait majeur de ce premier quart de siècle pour l’histoire moderne – et on espère que dans l’histoire de l’humanité elle ne restera qu’un gros accro sans conséquences majeures.
En tous les cas elle a conduit les nations occidentales, dont la France, à revoir à la hausse leurs intentions de défense et de résilience.
Le mouvement s’est en fait engagé depuis la fin de la période dites des « dividendes de la paix », et s’est traduit chez nous par une LPM à la hausse et, fait inédit, totalement respectée, budgets après budgets depuis 2018.
Mais les circonstances font qu’aujourd’hui une nouvelle loi de programmation militaire, 2024-2030, est à l’étude et devrait consolider encore plus la souveraineté et la puissance capacitaire de la France en matière de défense.
Gageons que dans cet esprit, la consolidation de la BITD nationale sera un des objectifs majeurs de la politique industrielle du ministère des armées. Gageons également, sans que cela soit contradictoire, qu’une réelle concertation entre les pays membres conduira à l’établissement d’une politique européenne de défense pertinente sur le plan stratégique comme sur le plan industriel.
Mais à ce jour, dans le cadre de la LPM en cours, confrontée à la situation internationale, il est déjà temps de prendre des décisions pertinentes et adaptées à la notion « d’économie de guerre » souvent évoquée au niveau ministériel.
Il ne nous paraît pas cohérent aujourd’hui, qu’un gros marché d’entretien de navires de premiers rangs conçus par Naval Group soit, par respect du sacro-saint principe de mise en concurrence, confié à un concurrent du leader mondial dans le domaine.
Les conséquences sociales sont bien-sûr préoccupantes pour le bassin d’emplois concerné, et nous suivrons de près les accompagnements dont le ministère nous a assuré de surveiller l’efficacité.
Ce qui est tout aussi préoccupant c’est la qualité finale de la prestation sur le produit lui-même, que le nouveau prestataire ne connait pas, n’a pas conçu et dont il n’a pas suivi l’élaboration des données de maintenance prédictive. Et par là-même il y a un risque sur la capacité de la France d’assurer ses missions dans les domaines d’opérations des navires concernés.
Ce qui est tout aussi préoccupant c’est le gros risque sur la capacité de Naval Group à conserver son potentiel de compétences en maintien en condition opérationnelle des différentes flottes, y compris des sous-marins, dans la mesure où les 250 personnels généralement dédiés à l’activité perdue sont aussi ceux qui interviennent sur les autres bâtiments et qu’ils se retrouvent devant un creux de charge de plusieurs années avant de voir les sous-marins de type Barracuda pour leurs premières visites d’entretien. Ce qui nous ramène au risque capacitaire évoqué plus haut.
Ce qui est assez préoccupant enfin c’est de voir confier à un industriel dont l’activité traditionnelle ne relève pas de la défense nationale, des produits et activités qui requièrent la plus grande confidentialité. Et ce dans une économie mondialisée, où les travailleurs nomades transportent avec eux toutes les informations dont ils disposent. Et la guerre se joue aussi, et de plus en plus, sur le terrain de l’information !
Il semble à la CFDT que la situation d’économie de guerre, tant mise en avant, autorise de soigner les cahiers des charges pour les appels d’offre, afin d’éviter le risque capacitaire qu’entraîne de confier à un « débutant » la responsabilité de l’entretien de navires de premier rang de notre marine nationale.
Enfin, nous ne serions pas la CFDT, si nous ne saluions pas la part du budget 2023 qui devra permettre la poursuite de la mise aux normes énergétiques du parc immobilier à usage tertiaire et résidentiel et du développement des énergies renouvelables. Nous saluons aussi l’effort sur le déploiement des plans de gestion de la biodiversité sur les sites militaires et le financement d’actions en matière de gestion des déchets.
Paris le 12 octobre 2022